Cette fête donne la possibilité d’entrer dans la béatitude et la joie de Dieu qui aime la créature qu’il a façonnée, et cette festivité permet aux croyants de se placer hors du temps et de ses vicissitudes.
Le matin de la fête, je me suis promené dans certaines rues du Caire au milieu des bêtes égorgées et dépecées. C'était un spectacle impressionnant.
Les femmes ne lâchent pas les bouchers qui immolent les brebis pour les fêtes du Grand Baïram, car c’est le moment de faire des vœux. A quelques pas des hommes qui égorgent, elles s’occupent à tremper leurs mains dans ce sang tout chaud. Certaines frictionnent les parties endolories de leurs corps, d’autres sèchent sur les murs de la maison leurs doigts ensanglantés. Elles pensent écarter le mauvais œil. Il existe aussi un grand nombre de femmes qui viennent pour recevoir la bénédiction. Parfois, elles sont là pour passer sept fois au-dessus de la bête immolée, pensant pouvoir en finir ainsi avec leur stérilité, ou elles demandent à laver les intestins de la bête et à préparer à manger aux malades. Pour elles ce sont des moyens de se rendre utiles pour obtenir la grâce de Dieu. Pauvres, elles ne peuvent se payer une bête et l’offrir, mais en se livrant au nettoyage elles pensent aussi obtenir la grâce de Dieu
Distribuer la viande ne suffit pas aux plus pieuses. Nombreuses font aussi le vœu de servir les moins favorisés. Il est fréquent en Egypte de voir des femmes se donner toute une journée à des travaux de charité. Ces femmes pensent le plus souvent aux personnes sans logis, aux enfants des rues, même aux soldats. Il est donc fréquent de voir ces femmes partir à l’heure du repas de midi en emportant d’énormes sacs en plastique bourrés de sandwichs. Ce n’est pas avec de viande uniquement que sont garnis les pains, mais encore avec du riz tout chaud cuisiné aux vermicelles. Cette fatta sans soupe est vivement appréciée par les plus affamés, les vieilles personnes, les soldats aussi. Parfois, elles accomplissent leur don en avançant des oranges ou des mandarines en guise de desserts.
Puis les enfants et la jeunesse se sont dirigés vers les jardins publics et surtout ceux du barrage de Mohamed Ali au nord du Caire. Là, la joie de la fête éclatait de partout et les rires étaient sur toutes les lèvres. Il faut vraiment fréquenter ces lieux pour se rendre compte de cette joie partagée en commun.
Manèges, centres d'attractions, bicyclettes, motocyclettes, ânes et chevaux, tout cela était mis à la disposition des jeunes au Barrage en ce premier jour de la fête.
Pour se rendre au Barrage, tous les moyens de locomotions étaient bons: microbus et autobus depuis le Caire, bateaux lourdement chargés entre Maspéro et le Barrage, etc...Quel beau jour de fête et de joie! Que de charme de se promener à travers les jardins de ce lieu admirable qu'est le Barrage!
La fête du Grand Baïram, c'est encore l'occasion de rappeler que jadis la "kiswa" de la Kaaba était confectionnée au Caire.Maintenant la "kiswa" (housse sacrée) qui recouvre la Kaaba à la Mecque est confectionnée en Arabie saoudite, mais ce ne fut pas toujours le cas car jadis elle était faite au Caire.
Au cours de la période qui précédait le grand pèlerinage de la Mecque, la ville du Caire connaissait de grandes activités avec le tissage de la “kiswa”, la préparation du “mahmal” et les différentes processions qui précédaient le départ de la caravane pour la Mecque.A l’époque mamelouke, les sultans du Caire avaient à cœur d’entretenir de bonnes relations avec les villes saintes d’Arabie où, chaque année, ils envoyaient des subsides en argent ou en nature et où ils faisaient parvenir la “kiswa” pour recouvrir la Kaaba de la Mecque.
Cette “kiswa” était une immense tenture de près de 15 mètres de hauteur et de 10 mètres de large, pour chacun des quatre côtés de la Kaaba, qui était tissée et brodée au Caire par des ouvriers spécialistes qui s’établissaient à cette occasion dans un atelier aménagé à la Citadelle du Caire pendant le mois de chaoual. Un immense podium recouvert de toiles de tentes était alors installé dans une des cours de la forteresse et les ouvriers considéraient ce travail comme un geste religieux et sacré. Ils maniaient l’aiguille, avec les fils d’or et d’argent, suivant le dessin du calligraphe qui avait tracé sur l’étoffe noire les paroles révélées.
Ce travail prenait beaucoup de temps. La “kiswa”, une fois achevée, était exposée dans une mosquée, généralement celle d’El-Azhar, où les fidèles venaient la vénérer. Placés sur des perches de bois, et savamment pliés, les quatre pans de la “kiswa” étaient processionnés dans les rues du Caire avant son départ pour la Mecque.
Cette procession de la “kiswa” et du “mahmal” était un grand jour de fête à travers les rues de la ville. La procession partait de Bab El-Nasr (la porte de la victoire) et se rendait à la Citadelle pour descendre ensuite sur Fostat (le Vieux-Caire) et ainsi elle traversait toute la ville du Caire depuis le nord jusqu’au sud. Le retour se faisait par un autre itinéraire empruntant la rue MoëzLidineIllah et la “kiswa” et le “mahmal” étaient déposés dans la grande cour de la mosquée d’El-Hakim près de Bab El-Foutouh (la porte des conquêtes); par la suite, au XIXème siècle, ce fut dans la mosquée d’El-Hussein qu’ils furent déposés dans l’attente du départ de la caravane pour la Mecque.
A cette procession se joignaient des groupes de musiciens, les derviches, les différentes confréries avec leurs bannières et leurs oriflammes, des joueurs de tambourins et des danseurs improvisés. C’était la grande fête et les rues de la ville étaient enguirlandées et illuminées. A une certaine période, des soldats accompagnaient le cortège et ils étaient habillés d’une manière burlesque. La foule les appelait “les diables du mahmal”, mais ils se livraient à de tels excès qu’ils furent supprimés.Cette procession conserva tout son faste jusqu’au XXème siècle et elle disparut en 1963 à la suite du rejet de la “kiswa” égyptienne par l’Arabie saoudite l’année précédente.
Au XIXème siècle, lorsque Mohamed Ali abandonna la Citadelle pour venir habiter les palais de l’Ezbékieh ou de Choubra, l’atelier de la “kiswa” fut installé dans le quartier de Khoronfish où elle fut tissée et brodée jusqu’en 1962. Cet atelier existe toujours avec la grande pancarte indiquant: “Dar El-Kiswa”.
Le jour du départ de la caravane pour la Mecque, tout le monde se rassemblait devant la Bab El-Nasr où le cortège s’organisait pour se rendre au birket El-Hagg, première étape avant la marche à travers le désert. Par la suite, avec l’installation de la ligne de chemin de fer entre le Caire et Suez, une manifestation se déroulait sur la grande place située au pied de la Citadelle et une procession était organisée jusqu’à la gare d’Abbasseïa où le “mahmal” et la “kiswa” étaient embarqués dans un train spécial.Le cortège était toujours précédé par l’émir El-Hagg (le prince du pèlerinage) qui était toujours choisi par le souverain parmi les grands personnages ou les ministres. A la suite de la Révolution égyptienne de 1952, l’émir El-Hagg fut remplacé par le président de la mission du pèlerinage. Ce changement se fit en date du 18 juin 1954.